Pigalle, la chute de Babylone.

Ce reportage exclusif effectué pendant 9 mois complets sur une période de sept ans (1997-2004) est le dernier témoignage de ce que fût l’un des quartiers chauds les plus fameux et représentés au Monde : Pigalle.
Connu internationalement comme un haut lieu des fantasmes nocturnes, Pigalle a désormais perdu de sa superbe. Le quartier autrefois pittoresque où le tourisme érotique faisait côtoyer des passants du monde entier avec rabatteurs, prostituées et entraîneuses change inexorablement et tend à devenir plus sage et lisse. Les bars à strip-teases (communément appelés cabarets), les sex-shops et autres magasins de lingerie tenaient il y a encore quelques années le haut du pavé sur le Boulevard de Clichy alors qu’en contre-bas les bars à filles où la prostitution règne étaient légion ; désormais ils ont cédé la place à des restaurants de kebabs.
Depuis 2004, l’aménagement du Boulevard de Clichy -véritable colonne vertébrale de Pigalle-, la pression urbanistique de la capitale et une indéniable volonté politique d’assainir certains quartiers de Paris sapent peu à peu la population marginale qui y avait trouvé refuge. Les établissements sulfureux ferment mois après mois, la population hétéroclite fait place à des familles de jeunes bourgeois, seul le Moulin Rouge continue chaque semaine à accueillir quelques milliers de touristes…chinois.
Ce travail photographique, effectué en un long travail d’investigation, s’est attaché à montrer la mort lente d’une époque et d’un lieu, et ; dans la tradition de Boubat, Doisneau ou Brassaï, s’est efforcé de montrer jour et nuit le quotidien social et professionnel des gens qui travaillent à Pigalle ; dont l’image est parfois peu reluisante pour le grand public, mais qui, derrière les apparences et la provocation, finissent par dévoiler des personnalités fragiles et sensibles. Dans les cabarets, les temps morts sont parfois longs et les hôtesses et strip-teaseuses inactives révèlent, derrière leurs pseudonymes, des personnalités attachantes. Il en est de même pour les très nombreux travestis et transsexuelles qui logent dans les petits hôtels de Pigalle et qui perpétuent encore les folles nuits qui firent l’aura du lieu.
Cette population de moins en moins nombreuse amenait un esprit cosmopolite et exubérant qui manquera dès lors. Certes le quartier jouit encore d’une mauvaise réputation par la faune qui y traîne et la hardiesse des rabatteurs qui racolent à tout prix (conscients peut-être de l’urgence de plumer quelques derniers pigeons) mais on s’aperçoit, à force de présence, que cette population fait montre d’un large esprit de corporation et d’entraide. Ces mal-aimés de la société sont tout simplement l’âme du lieu. Avec leur disparition, c’est le quartier qui inventa le strip-tease et la première boîte de jazz qui s’efface. Ce sont les dernières résonances de Toulouse-Lautrec et des folles nuits parisiennes.